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RUE DES CARMÉLITES

 

 

 

  Elles étaient là toutes les trois, qui attendaient; assises toutes les trois sur ces chaises de plastique moulé gris alignées le long du mur. Évidemment, elles ne s'adressaient pas la parole, n'échangeaient pas même un regard, sinon furtif, à la dérobée, comme il convient à des gens que le hasard seul a réunis là provisoirement, indépendamment de leur volonté. Il faudrait parler d'un couloir plutôt que d'une véritable pièce, un couloir très large ou alors une entrée tout en longueur. Lorsqu'on avait franchi la porte donnant sur le boulevard, on montait quelques marches pour se trouver tout de suite dans cette sorte de vestibule qui tenait lieu de salle d'attente. Une porte de contreplaqué verni, au fond, portait l'inscription "DIRECTION" et une autre, à droite en arrivant, dans la demi— cloison de verre clarite à gros grains — seule source de lumière naturelle ici — , ouvrait sur le réduit de la secrétaire qui les avait accueillies l'une après l'autre, en leur indiquant seulement de s'asseoir là et d'attendre. En fait, il s'agissait sans doute d'une seule grande pièce qu'on avait ainsi divisée dans la largeur pour en utiliser l'espace au maximum et, du coup, il n'y avait plus d'espace pour personne. La secrétaire, au moins, bénéficiait d'une fenêtre, étroite et haute, contre laquelle elle avait casé un bureau métallique grisâtre patiné d'une crasse discrète, un modèle qu'on ne voyait plus nulle part depuis près de vingt ans. Entre l'extrémité du bureau et la cloison de verre il lui restait tout juste de quoi se faufiler, en se mettant de biais, comme elle l'avait fait à l'arrivée de chacune d'elles. Car c'est là qu'elles avaient frappé tout à l'heure, sur cette porte translucide où adhéraient encore quelques-unes des lettres de métal doré : "SECRET-R-AT". Sur la porte directoriale, en revanche, aucune des lettres n'était tombée; peut-être avait-on pris soin de les recoller.

  La plus âgée des trois femmes — on pouvait lui donner une cinquantaine d'années — concentrait dans l'éclat platiné de son impeccable coiffure toute la faible lumière du couloir. Arrivée la première, elle s'était installée tout au fond, le plus près possible de la Direction. Plusieurs bagues imposantes chatoyaient à chaque imperceptible mouvement de ses mains sur le sac de croco noir qu'elle maintenait dans le giron de son élégant tailleur pied de poule gris bleu. Elle se tenait bien droite sur sa chaise, déjà déterminée à faire respecter son droit de priorité au cas où le directeur sortirait de son bureau. C'était le genre de femme qui, dans une queue, devant un cinéma ou au guichet de la Poste, se replace ostensiblement dans la file au moment où vous arrivez de manière à bien vous faire comprendre qu'il n'est pas question de resquiller.

  Elle commençait à regretter vaguement d'avoir pris ce rendez-vous; ces locaux vétustes et étriqués ne lui inspiraient pas confiance; ce qu'elle appréciait dans les agences c'était les aménagements clairs et modernes, spacieux, qui lui rappelaient, toutes proportions gardées, son bureau paysager du Crédit Lyonnais depuis qu'on avait tout rénové; un minimum de tape-à-l'œil dans la décoration intérieure lui semblait la garantie d'une affaire florissante; et puis cette sorte d'officine où un homme travaillait apparemment seul avec une secrétaire entre deux âges confinée dans son réduit lui paraissait suspecte. Elle s'en voulait d'avoir répondu à l'annonce sans savoir où elle mettait les pieds, d'autant que des appartements comme celui-là, on pouvait certainement en trouver d'autres, et par de meilleures agences, il y en avait au moins une dizaine cette semaine dans INTER-SERVICE. Elle écarta très vite l'idée qu'en réalité elle n'avait nul besoin de cet appartement, pas plus que d'aucun autre d'ailleurs, même s'il comportait une pièce de plus que le sien. Chaque samedi, au cours de ses visites, arrivait toujours un moment où cette idée réapparaissait insidieusement mais elle avait appris à n'en plus tenir compte; après tout, puisque ça lui plaisait de visiter des appartements, ça ne faisait de tort à personne et maintenant cela ne la gênait plus, presque plus.

  Elle prêta l'oreille à la frappe laborieuse de la secrétaire sur une vieille machine mécanique et fut confortée dans le sentiment d'être bien mal tombée cette fois-ci, mais puisqu'elle y était... En revanche c'était tout à fait le genre qui devait convenir à la petite brune assise à sa droite, avec son jean et son T-shirt blanc; une tenue pour visiter les agences !  Qu'est-ce qu'elle venait faire là ? on lui aurait donné à peine vingt ans. Elle était arrivée quelques minutes après elle, et pour la même annonce (elle l'avait entendue parler à la secrétaire; elle aussi avait rendez-vous apparemment) mais on se demande bien où elle pourrait trouver les 400 000 francs !  Elle avait choisi de s'asseoir juste à côté d'elle alors qu'il y avait encore deux autres chaises libres et aussitôt avait sorti un livre de son espèce de cabas de jonc tressé. Simone Perrodin profita de ce que sa voisine était plongée dans sa lecture pour s'autoriser un regard plus direct  : une belle fille tout de même, faut reconnaître; mais quand on a une poitrine comme ça on ne va pas mettre un T-shirt moulant !  En tout cas, ça ne faisait sûrement pas une concurrente sérieuse; elle venait probablement voir l'appartement pour se rendre compte, mais étant donné le prix... Les agences sont bien obligées de faire visiter tous ceux qui le demandent.

  La jeune femme releva la tête et Simone ne put faire autrement que lui adresser un demi sourire contraint auquel l'autre répondit gentiment avant de remettre le nez dans son livre. Elle avait un joli visage rond plein de santé, avec un teint légèrement mat de brune, parsemé de quelques discrètes éphélides qui conféraient à toute sa physionomie une sorte de naïveté primesautière; d'épais cheveux noirs, coupés court, lui faisaient comme un casque insolent; mais ce fut surtout l'intense éclat bleu de ses yeux qui mit Simone mal à l'aise. Derrière la porte du secrétariat le téléphone avait sonné; on entendait la secrétaire lire une fiche descriptive à un client, mais il s'agissait d'une maison. Puis le crépitement sporadique de la machine avait repris comme avant. Encore une qui a trouvé son diplôme de dactylo dans un paquet de Bonux, pensa Simone, délicieusement consciente de la trivialité de cette expression qu'elle empruntait à son nouveau et tout jeune garçon de bureau; chez nous, elle ne ferait pas long feu ; et cette agression verbale in petto suffit à calmer l'irritation qu'elle ressentait contre elle-même.

 

  Estelle Berthelot s'était étonnée, en arrivant, de voir déjà deux personnes attendre si tôt le matin dans cette petite agence qui ne payait pas de mine. Elle avait frappé à la porte de verre avant d'entrer dans le secrétariat pour se présenter et annoncer qu'elle avait rendez-vous à huit heures et demie. On lui avait répondu de bien vouloir attendre dans le couloir, Monsieur Jeanneau n'allait plus tarder. Elle allait juste s'asseoir lorsque la voix de la secrétaire l'avait rappelée à l'ordre d'un ton à peine aimable : "S'il vous plaît ! Vous refermez la porte ! " Elle était revenue tirer la lourde porte clarite qui avait fait vibrer toute la cloison. Puis, répondant au hochement de tête de la dame platinée qui la suivait du regard depuis son arrivée, elle avait pris place auprès d'une jeune fille qui, absorbée dans sa lecture, ne leva même pas les yeux sur elle. Il ne restait plus qu'à espérer qu'elles n'étaient pas là toutes les deux  pour la même annonce, sinon elle en avait pour la matinée, et encore heureux si l'une d'elles ne lui soufflait pas l'affaire avant que ne vienne son tour de visiter, comme la semaine dernière pour ce magnifique T4 en viager. Elle leur aurait bien posé la question mais n'osait pas; celle qui lisait avait l'air complètement hors du coup, bien trop loin d'ici en ce moment pour qu'on pût envisager de la déranger, et l'autre, retranchée derrière sa carapace de fard et son rouge de vieille cocotte, décourageait par avance toute velléité d'engager une conversation. Les lèvres minces d'Estelle s'étirèrent en un fin sourire en pensant à Jacques qui devait se trouver dans une situation à peu près semblable à l'heure actuelle, occupé lui aussi à se chercher un appartement; il est vrai que pour lui un deux pièces suffirait amplement puisque aux dernières nouvelles Sophie tenait à garder son studio. Mais qu'est-ce que cela changeait ? Il fallait chercher de la même façon. Elle décida de prendre sur elle de l'appeler vers midi pour savoir où il en était et — qui sait ? — avec un peu de chance lui annoncer que pour elle c'était fait. Elle ne supportait plus ce meublé sans lumière, six mois c'était trop, surtout avec Camille qui n'avait même pas sa chambre; maintenant que tout était enfin réglé cela lui reviendrait moins cher d'acheter, quitte à rembourser un petit emprunt complémentaire, que de payer tous les mois un pareil loyer. Jacques non plus d'ailleurs n'avait pas intérêt à garder un loyer sur le dos, encore qu'avec son salaire ça pose moins de problèmes.

  Ses réflexions furent interrompues par le claquement de la porte d'entrée. Les trois femmes se tournèrent d'un même mouvement vers l'homme qui gravissait lestement les quelques marches permettant d'accéder au couloir. Il leur adressa un rapide signe de tête en poussant la porte de verre et toutes trois lui rendirent son salut de la même façon mais trop tard  : il avait déjà disparu. Simone Perrodin s'était levée et avait repassé le sac de croco à son bras; lorsqu'il ressortit elle avait déjà fait deux pas vers lui.

  "Madame Perrodin ?

  — C'est moi." Elle fit encore un pas à sa rencontre, interposant sa silhouette autoritaire entre lui et les deux autres clientes restées assises. Finalement, il présentait beaucoup mieux qu'elle ne l'aurait imaginé; il présentait même bien; la veste de son complet gris clair n'était peut-être pas boutonnée mais cela seyait à la vivacité de son allure; il portait avec une certaine négligence, sur l'obligatoire chemise blanche tout ce qu'il y a de convenable, une large cravate de soie bleu vif, chamarrée de motifs orangés, qui fit très bonne impression à Simone. Il lui tendait une main décidée :

  "Vous excuserez mon retard; Alain Jeanneau...

  — Mais j'avais tout mon temps, le rassura-t-elle tandis que les breloques de sa gourmette d'or massif tintinnabulaient sous l'effet d'une vigoureuse poignée de main, évoquant les clochettes qu'agite l'enfant de chœur au moment de l'Élévation.

  — Je suis désolé.

  — Je vous en prie..., j'ai vraiment tout mon temps." Un sourire haut en couleurs révéla, sur la denture largement découverte de Simone, quelques traînées de rouge à lèvres. Décidément ce Monsieur Jeanneau lui plaisait. Il n'avait pas plus de quarante ans et l'on voyait tout de suite qu'il s'agissait d'un véritable homme d'affaires. Les boucles noires serrées de ses cheveux, le nez petit dans la rotondité d'un visage avenant, la carnation rosée du sanguin, lui conservaient encore un air presque poupin. Simone l'avait aussitôt pris en mains. Elle expliqua quel genre d'appartement elle cherchait; lorsqu'elle avait lu l'annonce — mais elle ne l'avait pas trouvée dans les autres journaux, comment cela se faisait-il ? — elle avait tout de suite pensé que cela pourrait lui convenir; bien sûr, il fallait toujours visiter, une annonce n'est pas suffisante, mais quelque chose lui disait...

  C'est alors qu'Estelle intervint. Elle s'était d'abord levée elle aussi, autant pour manifester sa présence que pour ne pas rester le nez sur le postérieur de Simone. C'était une femme jeune et gracile dont émanait une aura de douce fragilité. Sa longue jupe plissée de crêpe beige, le fin cardigan de même couleur sur un chemisier de soie blanche, l'élégante simplicité avec laquelle elle les portait surtout, firent reconnaître à Simone l'appartenance héréditaire à une classe sociale dont elle ne ferait jamais partie. Étroit et racé, le visage aurait pu paraître sec sans les souples cheveux châtains qui l'encadraient et le velours timide de deux yeux bruns presque trop grands. "Pardonnez-moi, hasarda-t-elle, je crois que j'avais aussi un rendez-vous pour la même annonce...

  — Ah !  fit Jeanneau. Une minute..." et disparaissant derrière la cloison, on l'entendit interroger à mi-voix : "Vous aviez mis d'autres rendez-vous pour la rue des Carmélites ?" Elles ne perçurent qu'un chuchotement pour toute réponse; puis il y eut une brève discussion à voix basse. En ressortant, il affichait une bonne humeur empruntée :

  — Vous avez raison. Il y a eu un petit problème d'agenda avec ma secrétaire, mais on va pouvoir s'arranger..."

  La petite brune, qui jusqu'à présent n'avait pas manifesté le moindre intérêt pour ce qui se passait autour d'elle, leva enfin les yeux de son bouquin; la porcelaine bleue de son regard donnait une fausse impression de candeur :

  "C'est pour le trois pièces des Carmélites ? Mais alors, moi aussi j'avais rendez-vous ! "

  Jeanneau se pencha à la droite de Simone pour l'apercevoir :

  "A huit heures et demie ?"

  La question parut déclencher une sorte d'hilarité intérieure chez la jeune femme :

  "Évidemment !  Sinon je ne me serais pas levée à cette heure là ! "

  Quelle vulgarité, pensa Simone contrariée; nous voilà bien. Je ne comprends pas que des filles comme cela puissent prétendre acheter un  appartement de 400 000 francs; il devrait tout de même se rendre compte !  Estelle ne put réprimer un sourire amusé : bien sûr elle n'aurait jamais répondu comme cela, même quand elle avait cet âge, mais elle aurait aimé le faire. Un diffus sentiment de solidarité féminine la faisait se réjouir de l'embarras de ce malheureux agent immobilier. Elle se tourna vers lui mais il s'adressait à la brune :

  "Mademoiselle ?

  — Madame Brindel, Claire Brindel."

  Il n'eut pas le temps d'apercevoir la triomphante insolence du regard de la jeune femme : une main accrochée au chambranle, il avait à moitié disparu derrière la cloison pour un nouveau conciliabule secret.

  "Bon, écoutez, reprit-il en se redressant, il y a sans doute une petite erreur dans l'organisation des rendez-vous; ce n'est pas bien grave, ça va s'arranger. Pour ne pas vous faire perdre davantage de temps je propose de vous emmener toutes les trois à l'appartement; bien entendu je vous ferai visiter individuellement; si les deux autres personnes veulent bien patienter un peu en attendant... Je suis vraiment désolé, je vous présente toutes nos excuses, mais je pense que c'est la meilleure solution...

  — Pas pour ceux qui étaient là les premiers !  commenta aigrement Simone en aparté mais de manière à être bien entendue.

  — Si tel est votre cas, Madame, il va de soi que vous aurez la priorité, rétorqua-t-il, agacé par cette complication supplémentaire.

  — Oh, mais je ne tiens pas à passer avant les autres, corrigea-t-elle, piquée au vif. J'étais là dès huit heures trente, comme convenu, mais j'ai tout mon temps.

  — Alors nous y allons", conclut-il, pressé d'en finir.

  Il leur tourna le dos :

  "Nathalie, vous avez les clefs de la rue des Carmélites, s'il vous plaît ? (tout un remue-ménage cliquetant se répercuta dans le tiroir métallique du vieux bureau) Elles n'ont pas d'étiquette? vous êtes sûre ?... Bon, je vous remercie; je serai rentré dans une heure au plus." Il fit volte-face vers ses trois clientes qu'il invita d'un geste ample accompagné d'une flexion de tout le buste : "Je vous en prie..."

  Simone Perrodin ouvrit la marche sans un mot et elles descendirent l'escalier en file indienne.

 

  Regroupées sur le trottoir, elles attendaient les instructions de leur chauffeur qui les rejoignit d'un pas leste : "Ma voiture est là, à vingt mètres." Elles formèrent un groupe hâtif et confus, deux pas derrière lui, le long des voitures en stationnement sous les platanes du boulevard. Il tint la portière avant ouverte à Simone qui s'installa avec la pleine conscience de son bon droit et de la préséance conférée par l'âge. Les deux jeunes femmes se pressèrent sur la banquette arrière.

  Soulagé d'avoir rétabli la situation, Jeanneau s'était mis à parler, comme d'habitude, tout de suite après avoir démarré : "Une affaire exceptionnelle, vous verrez; un appartement en parfait état, les peintures et les tapisseries viennent d'être refaites, tout a toujours été parfaitement entretenu, la cuisine et la salle de bains, par exemple, c'est comme neuf." Il ne cessait de se retourner vers les places arrière tout en conduisant afin de ne pas donner l'impression de s'adresser à sa seule voisine. "Le propriétaire a tout rénové après la mort de sa femme, il y a deux ou trois ans je crois... Un monsieur déjà très âgé...

  — Tiens ?..., dit simplement Simone.

  — Oui, bizarre, hein ? En général dans ces cas-là les gens auraient plutôt tendance à laisser les choses en l'état.

  — Je comprends cela", fit la voix étouffée d'Estelle.

  Profitant de ce qu'ils étaient encore à l'arrêt le temps que s'ébranle la longue file de voitures devant le feu maintenant passé au vert, Jeanneau pivota carrément sur son siège :

  "Comment ?

  — Je comprends qu'on veuille changer de décor, dans un cas comme cela, recommencer quelque chose", précisa-t-elle d'un ton plus affermi.

  Il eut un rire de complaisante galanterie devant les trente ans d'Estelle :

  "Vous êtes pourtant loin d'en être là !

  — Oui, mais je comprends.

  — ça avance", fit remarquer Simone, les yeux fixés droit devant elle et qui ne tenait pas à voir se développer une conversation à laquelle elle ne participerait plus.

  Rappelé à l'ordre, Jeanneau accéléra aussitôt pour venir coller à l'arrière de la camionnette qui les précédait. Ils se trouvaient à la hauteur de l'église St. Clément et à cette heure-là, même le samedi, on ne progressait que très lentement dans l'étroite rue du Maréchal Joffre; cela ne se dégageait qu'après le feu de la Place Louis XVI.

  L'intervention de Simone avait établi un silence pesant. Chacune des trois femmes s'abandonnait au spectacle de la rue avec le mélange d'intérêt et de passivité de ceux que l'on promène pour la première fois dans une ville inconnue. Le soleil brillait haut déjà ce matin; les magasins ouvraient seulement et des commerçants balayaient encore le pas de leur porte ou tiraient dehors leurs étals; une journée nouvelle commençait. L'air paraissait si pur que Claire baissa sa vitre malgré le coup d'oeil désapprobateur de Simone qui perçut dans son dos la soudaine bouffée de tous les bruits citadins. Ils dépassaient lentement de rares piétons qui les rattrapaient l'instant d'après, dès que la voiture ralentissait. Elles accompagnèrent comme cela, sur chaque trottoir, quelques passants jusqu'à l'extrémité de la rue : une dame âgée, corpulente et courtaude, en robe de coton bleu à fleurs,  partait péniblement faire ses courses au centre ville, le cabas vide à la main; un jeune homme en blouson de cuir, de l'autre côté, sur qui ils reprenaient de l'avance chaque fois qu'il s'arrêtait contempler une vitrine, marchait à grandes enjambées de héron. Bien que roulant au pas, Jeanneau se concentrait entièrement sur la conduite; il avait aussi ouvert sa vitre et laissait pendre au dehors son bras gauche, dans la posture de décontraction un peu vulgaire qu'affectent les habitués du volant dans les embouteillages. Avant que le feu ne revienne au rouge, à l'entrée de la place Louis XVI, il accéléra brusquement et rentra le bras; mais son élan décrut aussitôt, devant la cathédrale; il penchait la tête à droite, à gauche, à la recherche d'une place libre et s'engagea soudain à droite, sur le parking : il venait d'y repérer une voiture dont les phares de recul s'allumaient. "Et voilà ! " se félicita-t-il en coupant le contact.

  Simone ouvrit sa portière à contrecœur, déçue d'être déjà arrivée. Elle qui n'avait pas de voiture, appréciait tout particulièrement, chaque samedi, ces deux ou trois balades en ville aux frais des agences immobilières. Elle avait beau savoir que ce ne serait pas très long cette fois-ci, elle commençait pourtant à retrouver le charme de ses promenades habituelles en compagnie d'hommes bien habillés et prévenants qui lui faisaient ordinairement la conversation. Si cette gamine, au moins, ne lui avait pas gâché le plaisir par son incroyable sans-gêne : ouvrir en grand comme cela sa vitre, sans rien demander, dans une voiture qui n'était pas la sienne !  Cela ne l'étonnait qu'à moitié de la part de cette fille. Et qu'est-ce que c'était que cette histoire de visiter à trois le même appartement ? Aujourd'hui, décidément, rien ne se passait comme elle aurait voulu. Elle attendit, plantée sur le trottoir, que ses deux indésirables compagnes soient aussi descendues et la rejoignent mais se tourna ostensiblement vers Jeanneau qui venait de verrouiller les portières.

  "Eh bien, allons-y, fit-il, nous sommes à deux pas."

  Elles acquiescèrent toutes trois d'un même sourire figé. Claire se passa sur l'épaule les deux longues poignées de son cabas et considéra un instant leur groupe immobile d'une moue amusée. Puisqu'elle était privée du refuge de sa lecture, elle prenait maintenant intérêt au piquant de la situation; la mauvaise humeur de Simone ne lui avait pas échappé. "Allons-y", reprit-elle en écho, l'air enjoué. Les autres s'ébranlèrent à sa suite.

  Jeanneau courut un peu pour la rattraper devant la terrasse de la brasserie "Le Cycle" — ce n'était tout de même pas aux clientes de mener les opérations !  — mais, avant qu'il ouvre la bouche, elle braquait sur lui un regard trop bleu, d'une ingénuité désarmante : "C'est bien par là, non ?"

  Il reprit son souffle en réglant son pas sur le sien : "L'immeuble qui fait l'angle, à gauche, oui. Mais... vous ne croyez pas qu'on devrait attendre les autres ?"

  Claire pivota : Estelle et Simone n'avaient pas encore réussi à traverser la rue du Maréchal Leclerc; en équilibre sur le bord du trottoir, le cou tendu, elles guettaient une brèche improbable dans le double flux des voitures. Tout à coup, Simone s'élança, forçant le passage, imitée par Estelle hésitante. A pas précipités, elles les rejoignirent sur l'autre rive. "Vous croyez qu'ils vous laisseraient traverser ?" se justifia-t-elle devant le sourire esquissé par Jeanneau. Il arrondit un bras protecteur de pasteur rassemblant son troupeau : "On y est tout de suite, c'est l'immeuble du coin. Vous voyez qu'on ne peut pas faire plus central...

  — Pas plus bruyant non plus", compléta Simone, résolue à ne pas se départir d'une acrimonie longuement mûrie. Mais il savait parer habilement ce genre d'argument et ne commit pas l'erreur de nier l'évidence :

  "C'est vrai; il y a quelques années je vous aurais donné raison. Mais avec les techniques d'isolation phoniques que nous avons aujourd'hui ce n'est plus un élément à vraiment prendre en compte. D'ailleurs vous jugerez vous-même : il y a du double vitrage à toutes les fenêtres donnant sur la rue, je peux vous assurer qu'on n'entend pratiquement rien.

  — Et si on ouvre les fenêtres ?" objecta Claire malicieusement.

  Ils s'étaient arrêtés devant la librairie, en face de l'immeuble qu'il leur avait désigné. Il s'efforça de prendre cela comme une plaisanterie, mais elle l'agaçait aussi celle-là, depuis le tout début à l'agence, avec ses airs de sainte Nitouche !  Elle était fichue de lui faire rater la vente avec des remarques idiotes comme celle— ci; ça lui était bien égal, ce n'est pas elle qui achèterait de toute façon, et vraisemblablement pas non plus le pot de peinture platiné, contrairement aux apparences; quelque chose lui disait qu'avec la troisième c'était plus sérieux, la brune élégante avec sa longue jupe plissée, comment s'appelait-elle déjà ? ah oui, Berthelot; de ce côté-là il y avait peut-être une chance. "Si vous pensez vivre les fenêtres ouvertes, fit-il à Claire, vous feriez mieux de chercher une maison à la campagne !

  — Cela ne serait pas une mauvaise idée..."

  Et voilà, pensa-t-il rapidement, je ne m'étais pas trompé : mignonne, d'accord, mais ce n'est pas du sérieux.

  "C'est au premier étage ? s'informa Simone qui voyait à ce niveau une rangée de fenêtres survitrées.

  — Au deuxième, Madame.

  — Sans ascenseur, évidemment ?"

  Claire manifesta une candeur étonnée en haussant les sourcils :

  "Pour deux étages, je ne trouve pas que l'ascenseur soit indispensable..." Elle s'attira un venimeux sourire de Simone :

  "Pour vous, peut-être, mais il n'y a pas que vous ici, ma petite. Je ne parle pas pour moi, remarquez bien, pas pour le moment, deux étages ne me font pas peur, mais ça ne sera peut-être pas toujours le cas. On doit penser un peu aux autres, — elle désigna Estelle qui jubilait discrètement — Vous ignorez si Madame, par exemple, n'a pas des enfants en bas âge... Pour choisir un appartement, il faut essayer de voir un peu plus loin que le bout de son nez ! "

  Claire pouffa sans retenue : "Oh, c'est que j'ai un tout petit nez, moi, vous savez..."

  Elle est incroyable, se dit Estelle, aussi admirative que choquée par la joyeuse insolence de Claire; c'est vrai que l'autre, pour ce qui est du nez, avec cette espèce de bosse... Simone avait rougi sous son fard mais ignora avec un superbe dédain l'allusion de Claire pour s'en prendre à Jeanneau d'un ton aigre :

  "Eh bien, on peut toujours visiter, on verra."

  Il jugea préférable de ne pas sortir son argumentation habituelle concernant les immeubles sans ascenseur; il était plus prudent d'en rester là. Plus vite on passerait à la visite, plus vite on échapperait à cette situation explosive qui ne pouvait rien donner de bon. Il remercia Claire, qui venait de se révéler une alliée inattendue, d'un petit sourire crispé; une alliée dangereuse, tout de même, ce n'est pas comme cela qu'elle convaincrait l'autre dragon d'acheter un deuxième étage sans ascenseur. De toute façon, il avait renoncé à tout espoir d'une affaire avec Simone; il connaissait trop ce genre de femmes; on pourrait lui proposer la plus magnifique occasion, elle y trouverait toujours quelque chose à redire. Il reprit aussitôt son affabilité professionnelle :

  "Nous sommes là pour ça... Alors nous commençons par vous ? — Simone, cette fois, s'abstint de faire des manières — Eh bien, Mesdames, si vous voulez nous attendre en bas quelques minutes...

  — Je vous en prie", dit Claire. Estelle renchérit d'un léger signe de tête et se rapprocha d'elle. D'un geste décidé, Simone remonta la courroie de son sac sur son avant-bras; les massives breloques tintèrent à son poignet et elle traversa derrière Jeanneau. Estelle et Claire les regardèrent disparaître dans l'entrée de l'immeuble.

  C'était un petit immeuble ancien de trois étages avec une rangée de mansardes au-dessus, récemment ravalé comme tous ceux du quartier; un immeuble modeste qui ne possédait pas de porche d'entrée : une simple porte, entre deux magasins, donnait accès par un étroit couloir à un vieil escalier que l'on devinait obscur. Les fenêtres, pourtant, larges et hautes, presque des portes-fenêtres, devaient donner suffisamment de lumière dans les appartements pour qu'on puisse en tirer un parti agréable. Quoi qu'il en soit, rien que le quartier, déjà, justifiait amplement le prix demandé. Le seul inconvénient serait la voiture : aucune possibilité de stationnement à moins de descendre nourrir le parcmètre à longueur de journée, et encore, si on avait la chance de trouver une place !

  Estelle se rendit compte tout à coup qu'elle était restée seule au bord du trottoir. Elle se retourna et aperçut le T-shirt blanc de Claire, penché devant la vitrine du libraire. Ne voyant quoi faire d'autre — puisqu'elles se trouvaient là toutes les deux à attendre — elle vint jeter aussi un coup d'oeil sur l'étalage sans rien voir de précis : il n'y avait là que des livres religieux dont aucun ne retint particulièrement son attention.

  "Vous avez lu la Bible, vous ?" demanda soudain Claire en se redressant.

  Malgré son éducation catholique, Estelle n'avait jamais lu la Bible.

  "Moi non plus, reprit Claire, mais j'ai l'intention de le faire, ça me semble indispensable. Vous avez vu, ils ont la Bible d'Osty."

  Estelle pencha son front contre la vitre vers le gros livre qu'elle montrait du doigt. "Celle-ci, vous voyez ? reliée en cuir fauve, avec le titre doré à l'or fin. Elle est belle, non ?

  — Ah oui !  Effectivement...

  — Cela ne vous donne pas envie de le lire, un livre comme ça ?"

  Estelle se redressa pour répondre et sa tête cogna durement contre la tempe de Claire; elle eut un geste inachevé de la main : "Oh, pardon !  J'espère que je ne vous ai pas fait mal ?" Claire se mit à tâter l'endroit douloureux puis sourit : "Non, ça va... Encore heureux que vous ne m'ayez pas fait une bosse sur le nez ! " Le timide regard brun d'Estelle rencontra les yeux bleus de Claire et elles furent saisies en même temps d'un accès de rire nerveux qu'elle parvint mal à contrôler. "Tout de même, je trouve que vous êtes allée un peu loin tout à l'heure avec votre histoire de nez, lui reprocha-t-elle dès qu'elle fut calmée.

  — Je n'y peux rien, c'est parti comme ça..."

  A nouveau elles se regardèrent et pouffèrent.

  "Cela me tape sur les nerfs, les gens comme ça, pas vous ?

  Estelle hésita : "Si, bien sûr, mais...

  — Je ne vois pas pourquoi je me priverais, je ne lui dois rien. Vous avez vu sa réaction quand elle a compris que nous étions toutes les trois sur le même appartement ?

  — Vous lisez tout le temps comme cela ? s'enquit Estelle, étonnée de sa propre hardiesse.

  — Le plus possible, oui; ça fait partie de mon travail, je profite de tous les temps morts. Je fais une maîtrise de lettres. Et vous, vous faites quoi ?"

  D'abord Estelle fut choquée par une telle indiscrétion; choquée et surtout gênée : pendant des années, justement, elle n'avait rien fait, sinon s'occuper de sa fille et de leur intérieur, mais depuis six mois, depuis sa séparation d'avec Jacques, elle avait dû chercher du travail et ne parvenait pas encore à se considérer comme une femme qui travaillait, elle avait toujours l'impression d'être dans une situation transitoire, que quelque chose allait changer. Mais Claire avait posé sa question avec tant de naturel, une question si évidemment dénuée de toute curiosité déplacée, qu'elle se sentit finalement à l'aise pour répondre.

  "J'ai un emploi dans une agence, une agence de voyages... depuis quelques mois.

  — Ah bon ? Mais vous faisiez quoi avant ?"

  Elle se surprit à sourire devant la liberté communicative de Claire :

  "Rien. J'étais mariée...

  — Vous ne l'êtes plus ?

  — Non."

  Elles se remirent à rire toutes les deux. "On marche un peu ? proposa Claire. A force de rester plantées devant cette vitrine, vous savez ce que les gens risquent de croire ?"

  Estelle souriait encore en la regardant; elle fit non de la tête.

  "Qu'on fait le trottoir, tiens !  Allez, venez."

  Elle lui avait saisi le coude; Estelle se laissa entraîner. Elle s'efforçait d'accorder le sec claquement de ses talons à la démarche souple et silencieuse des tennis de Claire. Elle se voyait lourde et raide malgré le déploiement gracieux des longs plis de sa jupe, la finesse de ses escarpins de daim beige, la sveltesse racée d'une silhouette dont elle s'était toujours félicitée jusqu'alors. Aux côtés de Claire, elle se sentait lourde et gauche, si bien qu'en quelques mètres elle avait inconsciemment ralenti le pas jusqu'à finalement s'arrêter, prétextant qu'il vaudrait mieux ne pas dépasser le coin de la rue, en fait parce qu'il lui était trop difficile de marcher normalement auprès de Claire.

  "Nous ne devrions peut-être pas nous éloigner trop de l'immeuble, vous ne croyez pas ? si jamais ils redescendent..."

  Le regard haut, Claire contemplait l'imposante masse de la cathédrale à contre-jour sur l'éblouissant azur du ciel matinal. Le visage exposé à la brise fraîche qui balayait la place, elle semblait se tenir face au large, à la proue de quelque invisible navire. Comme elle est jeune !  pensa Estelle, et moi je ne le suis plus, c'est pour cela, et encore moins maintenant : une femme de trente ans, divorcée, avec un enfant... Même autrefois je n'ai jamais été comme cela.

  "Alors demi-tour !  ordonna Claire, on va faire les cent pas. Quelle horreur, je ne comprends pas comment des gens peuvent accrocher ça chez eux... Vous aimez ça, vous ?"

  Parmi les échantillons de baguettes dorées et les canevas, dans la devanture de l'encadreur qui faisait l'angle, elle venait d'apercevoir deux tableaux d'aluminium repoussé prétendant sans doute imiter les ciselures de l'argent noirci : une scène de chasse à courre et une sorte d'allégorie d'inspiration vaguement antique. Estelle s'était rapprochée. Claire se détourna de la vitrine en riant : "Si Antoine s'avisait de me ramener un truc comme cela à la maison, ce serait un cas de divorce ! " Une ombre involontaire dut traverser les yeux d'Estelle car elle se reprit, sincèrement désolée : "Excusez-moi, je ne pensais pas... Vous êtes divorcée, évidemment ?

  — Cela n'a pas d'importance."

  Elles commencèrent à redescendre lentement la rue de Verdun. Un énorme camion de déménagement jaune et noir, qui remontait en sens inverse, les contraignit un moment au silence. "CALBERSON" lut Estelle qui marchait côté rue. Elles échangèrent une grimace douloureuse, puis la voix bien timbrée de Claire émergea de l'assourdissant fracas :

  "C'est drôle que vous soyez divorcée... Moi, je viens tout juste de me marier, enfin il y aura presque un an. Je n'arrive pas à m'imaginer qu'on divorce. Vous n'êtes pas obligée de répondre si je suis indiscrète, mais vous avez divorcé pourquoi ?"

  Peut-être du fait de la légère pente de la rue, ou parce que Claire marchait moins vite à présent, Estelle ne ressentait plus cette désagréable impression d'avoir à mettre un pied devant l'autre à chaque pas. Le ballant de sa jupe rythmait l'aisance retrouvée de son allure naturelle. Pourquoi donc serait-ce indiscret, après tout ? Pourquoi ne pas en parler librement ? D'autant plus qu'elles ne se connaissaient pas et ne se reverraient probablement jamais. La curiosité ingénue de cette jeune femme n'avait rien d'une indiscrétion, au contraire; Estelle y devinait une sorte de chaleureux intérêt.

  "Cela vous ennuie vraiment de m'en parler ?"

  L'insistance de Claire, qu'elle aurait aussi bien pu mal juger en d'autres circonstances, lui apparut soudain comme l'expression d'une subtile et compréhensive délicatesse qui la submergea de reconnaissance. Elle ressentit un impérieux besoin de bavarder, de continuer à marcher auprès de cette fille dont elle ignorait tout il y a moins d'une heure.

  "Pardonnez-moi, je n'ai pas bien retenu votre nom à l'agence..."

  Les joues rondes de Claire s'élargirent en un sourire épanoui :

  "Claire Delaveau, enfin... Brindel maintenant. Et vous ?

  — Estelle Berthelot... du moins jusqu'à ces six derniers mois ! "

  Leurs regards amusés se croisèrent : pas plus l'une que l'autre n'était encore habituée à la récente mutation de son nom. Claire mit à profit cet instant de complicité pour insister encore :

  "Vous me trouvez indiscrète, n'est-ce pas ?

  — Pas du tout. Mais c'est vraiment l'histoire bête, vous savez, cela n'a pas grand intérêt : Jacques, enfin mon mari, a rencontré une autre femme, simplement. Et voilà..."

  Claire avait froncé les sourcils et ses yeux prirent une teinte outremer.

  "Je suis désolée", dit-elle d'une voix sourde.

  Estelle laissa échapper un soupir découragé :

  "Vous n'y pouvez rien, malheureusement... et puis tout cela est passé maintenant, il y a six mois que le divorce a été prononcé." Elle prit un ton anormalement vif et haut. "Vous voyez : je recommence une nouvelle vie, j'achète un appartement !

  — Je suis quand même désolée... Vous la connaissiez ?

  — Vous êtes gentille... Oui, depuis je la connais; Jacques me l'a présentée. Nous avons même dîné deux ou trois fois ensemble."

  Une expression d'incrédulité fugitive parcourut le visage de Claire, pareille à une ombre fuyante de nuage sur un paysage ensoleillé. Estelle ne fut pas insensible à la dérisoire supériorité que lui procurait pour une fois son malheur. Elles avaient fait quelques pas sans parler.

  "Et alors, vous la trouvez mieux que vous ?"

  Elle ne put s'empêcher de rire.

  "C'est à mon mari qu'il faudrait demander ça !

  — Vous lui en voulez, à cette femme ?

  — Je ne lui en veux pas, non, Sophie est une fille vraiment bien." Elles se séparèrent le temps de laisser le passage à un type en gabardine qui fonçait droit sur elles sur le trottoir étroit. "Et j'aime mieux ça, vous savez... D'abord, je ne vois pas pourquoi je souhaiterais que Jacques se retrouve avec une mégère, et puis c'est beaucoup mieux pour Camille, elle passe tout de même un week-end sur deux chez eux.

  — Camille, c'est votre fille ? C'est vous qui la gardez ?

  — C'est notre fille, oui. Huit ans."

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